Vous constatez qu’à huit ans, un enfant a de grandes difficultés pour lire des mots et des phrases : chaque mot lui demande des efforts considérables pour le déchiffrer, et lorsqu’au bout de plusieurs secondes il produit quelque chose, ce n’est souvent pas le bon mot. Il ne maîtrise pas bien les correspondances entre les lettres et les sons, dit un mot pour un autre, et a oublié le début de la phrase lorsqu’il arrive à la fin et donc il ne comprend pas ce qu’il lit. Au niveau de l’écriture et de l’orthographe, c’est encore pire : les mots qu’il écrit sont parfois méconnaissables tant ils sont différents de l’orthographe conventionnelle. Pourtant, la plupart de ses camarades, à l’issue de deux ans d’enseignement de la lecture, parviennent à lire couramment et à comprendre ce qu’ils lisent. Leur orthographe, bien que médiocre, répond souvent à une logique phonétique, ce qui rend leur écriture lisible. Pourquoi n’arrive-t-il donc pas à lire ?
Cette question, en apparence simple, est en vérité très compliquée. Il y a de nombreuses réponses possibles qui s’enchevêtrent les unes avec les autres. Trouver la ou les bonnes réponses, dans le cas d’un enfant particulier, est souvent difficile.
Première hypothèse : c’est qu’on ne lui a pas bien enseigné la lecture ! Bien évidemment, la lecture ce n’est pas inné, cela demande à être enseigné, et bien enseigné. Il existe, nous l’avons vu, différentes méthodes d’enseignement de la lecture, celle qu’il a subi était-elle inadaptée ? Pourtant ses camarades ont bien réussi à apprendre, avec cette même méthode. Si cet enfant est le seul dans sa classe à être dans une telle difficulté au bout de deux ans, cela nécessite une explication spécifique, qui ne peut se réduire ni à la méthode, ni à l’enseignant.
Autres hypothèses. Le problème se situe-t-il au niveau de sa famille ? Peut-être le français n’est-il pas sa langue maternelle ? Ou bien ne lui a-t-on pas assez parlé, ou ne lui a-t-on pas assez lu d’histoires De multiples hypothèses, parfois contradictoires les unes avec les autres, s’entrechoquent. Pourtant, dans le cas de votre enfant, aucune ne semble correcte : sa famille, francophone, de classe moyenne, semble tout ce qu’il y a de plus normal, et d’ailleurs ses frères ont franchi l’apprentissage de la lecture sans difficulté.
Si le problème ne vient ni de la méthode, ni de sa famille ou de son environnement social, c’est donc peut-être en lui-même qu’il faut chercher la cause. On se demandera donc s’il est un enfant turbulent et inattentif, qui pensait à autre chose pendant les séances de lecture ? Ou peut-être s’il a une déficience intellectuelle ? Ou encore s’il est simplement paresseux, et manquant de motivation pour le travail scolaire ? ET pourtant, non, c’est un enfant intelligent (la psychologue scolaire lui trouvera d’ailleurs un quotient intellectuel au-dessus de la moyenne), qui est capable de se concentrer et de travailler, et qui d’ailleurs réussit bien en mathématiques et en arts plastiques. Certes, il est de plus en plus dissipé pendant les cours de français, mais cela peut se comprendre aisément étant données les difficultés qu’il rencontre dans cette matière.
Si ses difficultés ne se manifestent qu’en français, peut-être votre enfant souffre-t-il d’un trouble du langage ? Il est vrai que, lorsqu’il avait 3 ans, il ne s’exprimait qu’avec des phrases très simples et un vocabulaire très limité, alors que ses frères, au même âge, parlaient très bien. Mais il a fini par rattraper ce léger retard de langage, et parle aujourd’hui très bien, comprend tout ce qu’on lui dit sans difficulté tout autant que les autres enfants de son âge, et est capable de raconter une histoire avec ses propres mots après l’avoir entendue.
Peut-être a-t-il un problème visuel ? Si par exemple il a une hypermétropie qui n’a pas été détectée et corrigée par des lunettes, ne voyant pas nettement les mots sur la feuille, on comprend aisément qu’il n’arrive pas à lire. Las, le médecin scolaire, après avoir effectué un bilan ophtalmologique, a trouvé qu’il voyait très bien et a exclu tout problème de cet ordre.
Il semble donc que les difficultés de cet enfant soient spécifiques au langage écrit . C’est ce trouble spécifique de la lecture que l’on appelle dyslexie développementale, ou plus couramment dyslexie.
Au jeu des questions, nous avons illustré un premier point très important : il existe de nombreuses causes possibles aux difficultés d’apprentissage de la lecture, et la dyslexie n’est que l’une d’entre elles. Toutes les hypothèses que nous avons considérées (absence ou inadéquation de l’enseignement de la lecture, désavantages sociaux et culturels, troubles du langage, déficits intellectuels, troubles d’attention, troubles du comportement, malvoyance, malentendance,…) sont parfaitement plausibles, et sont avérées dans un certain nombre de cas d’enfants en difficulté.
L’apprentissage de la lecture étant une tâche cognitive complexe, il n’est pas étonnant que cet apprentissage puisse être entravé par de nombreux facteurs différents. Mais la constatation qui a été faite à de nombreuses reprises depuis plus d’un siècle, c’est qu’il existe un certain nombre d’enfants qui présentent un trouble sévère d’apprentissage de la lecture, alors même qu’ils sont normalement intelligents, n’ont aucun déficit sensoriel, grandissent dans un milieu familial et social favorable, et ont reçu un enseignement approprié. Ce trouble, inexplicable au premier abord, a conduit à l’hypothèse d’un trouble spécifique de l’apprentissage de la lecture : la dyslexie.
De nombreuses études à grande échelle et dans de nombreux pays ont confirmé l’existence d’enfants dyslexiques, leur prévalence étant estimée entre 1 et 7%. Ces chiffres sont évidemment à prendre avec précaution, puisqu’ils dépendent inévitablement de la définition de la dyslexie et du seuil de sévérité choisis. En France, bien qu’il n’existe pas d’étude épidémiologique digne de ce nom sur la dyslexie, une estimation courante de la dyslexie est de 5%. Quel que soit le chiffre précis, on voit qu’on est bien loin des 15% d’élèves en difficulté dans la lecture. La dyslexie n’est donc qu’un facteur parmi d’autres contribuant aux troubles de lecture au sein de la population. Il n’est pas question de considérer que tous les enfants en échec scolaire ou rencontrant des difficultés en lecture sont dyslexiques. La distinction entre dyslexie et difficultés de lecture est extrêmement importante.
Comme pour beaucoup de troubles développementaux, on observe que la dyslexie touche plus fréquemment les garçons que les filles (de l’ordre de 2 garçons pour 1 fille), sans que l’on n’ait d’explication totalement satisfaisante de ce phénomène. L’hypothèse la plus crédible est que le cerveau des garçons est, pour des raisons hormonales, plus vulnérable que celui des filles à des perturbations.