On peut considérer qu’il y a trois systèmes cognitifs dans le cerveau : l’un est rapide, automatique et intuitif (le Système 1), l’autre est plus lent, logique et réfléchi (le Système 2), le troisième, sous-tendu par le cortex préfrontal, permet l’arbitrage, au cas par cas, entre les deux premiers (le système 3) et assure l’inhibition des automatismes de pensée (issus du Système 1) quand l’application de la logique (Système 2) est nécessaire.
Voici un exemple du rôle positif de l’inhibition cognitive dans le cerveau lors d’une tâche scolaire. Nous voici en classe devant un énoncé mathématique : Pauline a 25 billes. Elle a 5 billes de plus que Léo. Combien Léo a-t-il de billes ?
Avant 7 ans, l’enfant ne parvient pas bien à inhiber l’automatisme implicite « il y a le mot plus donc j’additionne’ (25+5=30) ». En effet, ici il faut activer la soustraction (25-5=20), logique dans ce cas. Le coût cognitif pour ne pas se laisser tromper par l’addition est fort élevé et donc pas toujours mis en action. Il faut donc apprendre à l’enfant à déjouer le redoutable piège du plus. Il y a beaucoup d’autres exemples de ce type dans le domaine de l’orthographe, par exemple : je les manges, je vous le direz, etc. où il s’agit d’inhiber l’accord avec le mot le plus proche.
L’inhibition est un processus remarquable d’adaptation, de prise de recul qui permet de résister à ses propres réponses impulsives. Le cerveau résiste à lui-même. Mais la maturation de ce processus est lente au cours du développement de l’enfant et de l’adolescent. C’est pourquoi il faut l’éduquer et même l’entraîner intensivement à l’école ! C’est ce qu’on appelle "apprendre à résister", une pédagogie du contrôle cognitif, une pédagogie de la compréhension qui sera utile en lecture mais aussi, transversalement, dans toutes les disciplines.
Ce mécanisme cérébral aura une véritable utilité sociale puisqu’il permet, par exemple, d’éviter des décisions absurdes, parfois collectives. Il permet aussi de résister, dans nos démocraties, aux croyances erronées : les mythes du complot par exemple, ou des stéréotypes bien ancrés. Et la résistance cognitive est aussi un facteur de tolérance. Elle permet, comme le dit Olivier Houdé fort justement, l’intelligence interpersonnelle, c’est-à-dire la capacité de faire taire son propre point de vue pour favoriser celui d’autrui. Quand les attentats de janvier 2015 à Paris conduisent à parler de "déradicalisation", c’est de cette résistance cognitive qu’il s’agit. Éduquer le cerveau, c’est lui apprendre à résister à sa propre déraison. Un vrai défi pour l’éducation et pour la société d’aujourd’hui.